jeudi 11 juin 2015

Interview de Poutine à Moscou le 6 juin 2015


Transcription intégrale
traduite par votre serviteur,
de l'entretien de
Vladimir Poutine
avec Paolo VALENTINO et Luciano FONTANA,
envoyés spéciaux à Moscou,
pour le «Corriere della Sera».


Luciano FONTANA: Monsieur le Président, la Russie a toujours eu des rapports intenses et privilégiés avec l'Italie, que ce soit sur le plan économique ou politique. Pourtant, la crise ukrainienne et les sanctions ont jeté une ombre sur ces relations. La visiste en Russie du Président du Conseil Mattéo Renzi , comme la vôtre bientôt à Milan peuvent-elles inverser quelque chose dans cette tendance et à quelles conditions ?

Vladimir POUTINE: «Ce n'était la faute de la Fédération de Russie, si les relations avec les pays de l'Union européenne se sont détériorés. Cet état de fait nous a été imposé par nos partenaires. Ce n'est pas nous qui avons introduit certaines limitations dans le commerce et dans les activités économiques. Cela a été fait contre nous et nous avons été contraints d'adopter des contre-mesures. Cependant les rapports entre la Russie et l'Italie effectivement ont toujours eu un caractère privilégié que ce soit en politique ou dans l'économie. Au cours des dernières années le volume de nos échanges a été multiplié par onze, atteignant près de 49 miliards de dollars. Il y a 400 entreprises italiennes en Russie. Nous travaillons activement ensemble dans les secteurs de l'énergie. L'Italie est le troisième importateur de notre production énergétique. Mais nous co-opérons aussi dans les hautes technologies, de l'espace et de l'aéronautique. Près d'un million de touristes russes sont allés en Italie l'an dernier et y ont dépensé environ 1 milliard d'euros. Sur le plan politique il y a toujours eu des relations de confiance. Ce fut une idée de l'Italie, alors que Sylvio Berlusconi était Président du Conseil, de créer le Conseil OTAN-Russie, un organe de consultation qui a certainement été un facteur important de garantie de la sécurité en Europe. Dans ce sens l'Italie a eu, et a, une contribution notable au maintient du dialogue entre la Russie et l'Europe et aussi avec l'OTAN en général. Tout celà crée des rapports spéciaux entre nos deux pays. Et la visite de l'actuel Président du Conseil italien en Russie envoit un signal très important qui montre la disposition de l'Italie à maintenir ces rapports à l'avenir. Nous sommes prêts et disposés à aller de l'avant autant que le seront les partenaires italiens. J'espère aussi que mon voyage à Milan puisse servir ces objectifs.»


Luciano FONTANA: Vous avez connu plusieurs présidents du Conseil : Romano Prodi, Sylvio Berlusconi, Massimo d'Alema, Giuliano Amato, Enrico Letta, et maintenant Mattéo Renzi. Avec lequel avez-vous eu la meilleure compréhension réciproque ? Et quelle incidence de ces relations personnelles sur les relations internationales ?

Vladimir POUTINE: «Quelle que soit la charge qui nous incombe, nous sommes avant tout des êtres humains, et la confiance en l'autre est un facteur très important dans le travail, dans la construction de relations de niveau international. Mais comme me l'a dit une des personnes que vous venez de mentionner, «vous devez être la seule personne qui ayiez des relations amicales avec Berlusconi et avec Prodi.» Ça n'a pas été difficile. Je vais vous expliquer : tous mes partenaires italiens se sont laissé guider par l'intérêt de l'Italie, et du peuple italien, et considéraient que la meilleure façon de les garantir étaient d'entretenir des relations amicales avec la Russie. Nous l'avons compris et nous l'avons ressenti. C'était le plus important. J'ai toujours évoqué le désir d'avoir des relations internationales sincères indépendemment de la situation politique intérieure.»


Paolo VALENTINO: Vladimir Vladimirovich, vous serez le 10 juin à Milan à l'occasion de la Journée de la Russie à l’Expo 2015, dont le thème est «Nourrir la planète. Énergie pour la vie». Quelle est la contribution de la Russie à cette cause ? Et quelle signification a le thème de l'Expo dans les rapports inter-étatiques ?

Vladimir POUTINE: «C'est sans aucun doute aujourd'hui pour l'humanité une des questions-clefs, et les organisateurs ont bien fait de choisir ce thème, pour attirer l'attention sur la recherche des moyens de la résoudre.

La population de la planète augmente; selon les experts en 2050 elle atteindra les 9 milliards. Cependant aujourd'hui selon les chiffres de l'ONU, 850 millions de personnes dans le monde souffrent de sous-alimentation, meurent pratiquement de faim, parmi lesquelles 100 millions d'enfants. Et de la manière dont elle sera résolue dépendront tellement d'autres questions, à première vue sans lien avec ce problème. J'entends ici l'instabilité politique de regions entières du monde, du terrorisme, etc., tout est lié. La vague d'immigration illégale qui envahit aujourd'hui l'Italie et toute l'Europe est liée aussi à tout celà.

Quant à la contribution de la Russie, nous dépensons environ 200 millions de dollars dans les divers programmes amlimentaires de l'ONU. Beaucoup de pays dans le monde obtiennent l'aide et le soutient nécessaires venant des ressources russes.

Nous apportons une grande attention au développement de l'agriculture dans notre pays. Nonobstant toutes les difficultés actuelles de l'économie russe, notre secteur agricole croit à un rythme accéléré : l'an dernier près de 3,4 à 3,5%, idem au premier trimestre 2015. La Russie est au troisième rang mondial pour l'exportation des céréales. Et pour finir son potentiel dans ce domaine est collossal : nous avons la plus grande surface cultivable du monde et les plus grandes réserves d'eau douce.»


Paolo VALENTINO: On entend dire que la Russie se sent «trahie par l'Europe comme un amant abandonné.» Qu'est-ce qui ne va pas aujourd'hui dans ces relations ? Pensez-vous que l'Europe dépend trop des États-Unis pour la crise ukrainienne ? Et qu'attendez-vous de l'Europe sur les sanctions ?

Vladimir POUTINE : «Si elle a quelque rapport avec une dame sans assumer ses obligations, alors elle n'a aucun droit de dire à son partenaire d'assumer à son tour les obligations auxquelles nous sommes confrontés. Nous n'avons jamais traité l'Europe comme un amant. Maintenant je parle très sérieusement. Nous avons toujours proposé des relations sérieuses. Mais aujourd'hui j'ai l'impression que l'Europe cherche à construire avec nous des relations sur une base purement matérielle et exclusivement en leur faveur. Je parle par exemple de l'énergie, de l'accès au marché européen que l'on nous refusé sur le champ de l'énergie nucléaire, malgré tous les accords. Ou de la réticence à reconnaitre la légitimité de nos actions d'union et d'intégration dans l'espace post-soviétique, je me réfère à cette union transversale que l'on appelle maintenant l'Union économique euroasiatique. Pourquoi quand les pays européens s'intègrent c'est considéré normal, mais si nous dans l'espace post-soviétique nous faisons la même chose c'est intérprété comme le désir de la Russie de reconstruire une espèce d'empire ? Je ne comprends pas cette approche. Il y a quelque temps, j'ai parlé de la nécessité de créer un espace économique allant de Lisbonne à Vladivostok. Et en réalité, longtemps avant moi le président français de Gaulle avait dit quelque chose de similaire. Personne n'opposa d'objection, tous disaient : nous allons chercher à le faire. Mais en réalité qu'est-ce qu'il s'en est suivi ? Prenons l'exemple de l'Ukraine. Dans l'accord d'association entre l'Ukraine et l'UE, il ne revient pas à Kiev d'intégrer sont propre système énergétique à l'Europe, mais cette possibilité est prévue dans le futur. Si celà devait arriver, nous serions contraints de dépenser entre 8 et 10 milliards d'euros pour construire de nouvelles lignes électriques pour garantir la fourniture intérieure à la Russie. Mais pourquoi le faire, si nous croyons juste de créer un espace économique unique allant de Lisbonne à Vladivostok ? Dans son partenariat oriental, l'UE veut intégrer tout l'espace post-soviétique dans l'unique espace économique de l'Europe, je le répète pour la troisième fois, de Lisbonne à Vladivostok, ouvrir quelque ... et créer de nouvelles frontières entre la Russie d'aujourd'hui et la partie occidentale restant, Ukraine et Moldavie comprises ?»


Paolo VALENTINO: Mais vos actions en Ukraine sont à l'origine de tout la crise en rapport avec l'Occident.

Vladimir POUTINE: «quelle est l'origine de la crise en Ukraine ? La raison, semble-t-il, n'est pas à la mesure de la tragédie vécue aujourd'hui par un grand nombre de victimes du Sud-Est. À cause de quoi est née cette dispute ? L'ex-président Yanukovitch disait qu'il avait besoin de réfléchir à sa signature sur l'accord d'association entre l'Ukraine et l'UE, et qu'il avait besoin de consulter la Russie, le principal partenaire économico-commercial de l'Ukraine. C'est sous ce prétexte qu'ont commencé à les désordres à Kiev, appuyés activement par nos partenaires tant européens qu'américains. Ensuite est venu le coup d'État, une action absolument anticonstitutionnelle. Les nouvelles autorité ont déclaré vouloir signer l'accord, insistant pour son application au 1er janvier 2016. Nous posons une question : à quoi le coup d'État a-t-il servi ? la guerre civile, la crise économique et la chute de l'État lui-même. Nous n'avions rien contre la signature de l'accord entre l'Ukraine et l'UE. Mais pas contre, nous voulions participer à l'élaboration des décisions finales, considérant que l'Ukraine d'alors faisait encore partie de la zone économique de libre échange de la Communauté des États Indépendants et qu'il y a des obligations réciproques qui en découlent. Comment est-il possible d'ignorer ce fait et de ne pas le respecter ? Je ne risque pas de le comprendre. Je l'ai dit à plusieurs de mes collègues, y compris européens et américains.»


Paolo VALENTINO: Et qu'est-ce qu'ils en disent ?

Vladimir POUTINE: «Qu'ils ne contrôlent pas la situation. Le 21 février 2014 a été signé un accord entre le président Yanukovitch et l'opposition sur le futur du pays, y compris les élections. Pour valider cet accord, pas moins de trois Ministres européens des Affaires étrangères l'ont signé en garantie. Si les américains et les européens avaient dit à qui projetait des actions anticonstitutionnelles, «nous ne vous soutiendrons en aucune circonstance si vous prenez le pouvoir par un coup d'État, allez au devant des électeurs et gagnez les élections,» la situation se serait devéloppée d'une manière complètement différente. D'autant plus que tout le monde sait qu'ils auraient gagné les élections à 100%. C'est pourquoi je crois que la raison de cette crise est complètement artificielle. Et l'accompagnement de ce processus est inacceptable. Je le répète, ce n'était pas notre intention, nous avons simplement été contraints de réagir à tout ce qu'il s'en est suivi.»



Paolo VALENTINO: Vous avez dit que la situation était hors de contrôle, mais ne vous semble-t-il pas qu'en Ukraine, ce soit le bon moment pour que la Russie prenne d'elle-même une initiative pour trouver une solution à la crise, en faisant un geste d'ouverture ?

Vladimir POUTINE: «Nous l'avons déjà fait. Je pense au document signé à Minsk, qu'on appelle Minsk2, la seule voie sûre pour la résolution du problème.  Nous ne l'aurions jamais signé si nous le le considérions pas correct, juste, équitable. Bien sûr, nous faisons de notre côté, et nous continuerons à faire tout ce que nous pouvons pour influencer les autorités des Républiques auto-proclamées --celles de Donetsk et de Lugansk. Mais tout ne dépend pas de nous. Aujourd'hui, nos partenaires, qu'ils soient en Europe ou dans les EE.UU, doivent excercer une influence appropriée sur les autorités de Kiev afin qu'elles fassent tout ce qui a été signé à Minsk. Le point-clef de la situation politique c'est certainement de faire d'abord appliquer un cessez-le-feu, de retirer les armes lourdes. En gros, c'est pratiquement fait. Il y a encore des coups-de-feu, malheureusement il y a encore des victimes, mais il n'y a pas de grandes actions militaires, les partis sont séparés. Aujourd'hui il faut commencer à réaliser les accords de Minsk. Concrètement, il faut faire une réforme constitutionnelle qui garantisse le droit à l'autonomie aux territoires respectifs des Républiques non reconnues.Ensuite il faut voter une loi pour les élections municipales et une autre pour l'amnistie. Et tout celà, comme c'est écrit dans les accords, en coodination avec la République Populaire de Donetsk et celle de Lugansk. Le problème est que les autorités de Kiev ne veulent pas s'asseoir à la même table de négociation que ls autres. Et sur cela nous n'avons pas d'influence, seuls en ont nos partenaires européens et américains. Il ne faut pas s'apauvrir avec les sanctions. Il faut inicier la réhabilitation économique et sociale de ces territoires, où a lieu une catastrophe humanitaire et tous faignent qu'il ne se passe rien. La Russie est intéressée à chercher et obtenir une réalisation complète et inconditionnelle de tous les accords de Minsk, il n'existe pas d'autre voie. Je rappelle aussi que les "leaders" des Républiques autoproclamées ont déclaré publiquement qu'à certaines conditions, c'est-à-dire la réalisation des accords de Minsk, ils étaient prêts à examiner la possibilité de se considérer comme faisant partie de l'État ukrainien. J'estime que cette position devrait être considérée comme une bonne condition préliminaire à l'ébauche d'un traité sérieux.»


Paolo VALENTINO: Et qu'est-ce qui nous dit que dans les territoires de l'est de l'Ukraine, il ne se prépare pas un scénario d'annexion comme en Crimée ?

Vladimir POUTINE: «Le scénarion de la Crimée n'est pas lié à la position de la Russie mais à celle des gens qui y vivent. Toutes nos actions, y compris les actions de force, n'avaient pas pour objectif de retirer la Crimée de l'Ukraine, mais avaient pour but de donner aux gens qui y vivaient la possibilité d'exprimer leur propre opinion sur l'organisation de leur propre vie. Si cela a été permis aux Albanais du Kosovo et aux Kosovari, pourquoi l'interdire aux Russes, Ukrainiens et Tartares qui vivent en Crimée ? Je crois qu'un observateur de bonne foi ne pouvait pas ne pas voir que les gens ont votté quasi à l'unanimité en faveur de la réunification avec la Russie. La solution à la question de la Crimée est fondée sur la volonté du peuple. À Donetsk et à Lugansk les gens ont voté pour l'indépendance et de là, la situation est différente. Mais la chose la plus importante est de respecter les humeurs et les choix des gens. Et si quelqu'un veut que ce territoire reste au sein de l'Ukraine, il faut démontrer à ces gens que dans un État uni la vie sera meilleure, plus comode et plus sûre, que l'avenir de leurs enfants sera garanti. Mais les en persuader avec les armes est impossible. Ce sont des questions qui ne peuvent se règler que de manière pacifique.»


Paolo VALENTINO: En parlant de paix, Monsieur le Président, les pays de l'ex-Pacte de Varsovie qui sont aujourd'hui membres de l'OTAN, comme les pays baltes et la Pologne, se sentent menacés par la Russie. L'Alliance atlantique a décidé de créer une force dissuasive d'intervention rapide pour répondre à ces préoccupations. Il a raison l'Occident d'avoir peur du nouvel «ours russe ?» Et pourquoi la Russie prend-elle un ton agressif comme ça ?

Vladimir POUTINE: «La Russie ne parle pas d'un ton agressif à personne dans ces questions, comme le disait Otto von Bismark, “ce n'est pas le discours qui est important, mais le potentiel.” Et quel est le potentiel en réalité ? Le poids militaire des États-Unis est supérieur au poids militaire de tous les pays du monde réunis. L'ensemble des forces de l'OTAN est 10 fois supérieur à celles de la Fédération de Russie. La Russie n'a pratiquement plus de base militaire à l'est. Notre politique n'a pas un caractère global, offensif ou agressif. Publiez sur votre journal la carte du monde indiquant toutes les bases militaires américaines et vous verrez la différence. Je vais vous donner un exemple. On me fait observer parfois que nos avions volent jusqu'au-dessus de l'Océan Atlantique. Les patrouilles lointaines avec des avions stratégiques n'étaient faites que par les EE.UU. et l'URSS au temps de la «guerre froide.» Mais la nouvelle Russie, dès le début des années 90, les ont abandonnées, et pourtant nos amis américains ont continué de voler jusqu'aux confins de notre pays. Pour quelle raison ? Aussi, il y a quelques années nous avons repris ces survols: nous sommes-nous comportés agressivement ? Près des côtes de la Norvège il y a en permanence un sous-marin américain en service. Le temps que met un missile pour atteindre Moscou depuis ce sous-marin est de 17 minutes. Et vous voulez dire que nous nous comportons en mode aggressif ? Vous avez mentionné l'élargissement de l'OTAN à l'Est. Mais nous nous ne bougeons nulle part, c'est l'infrastructure de l'OTAN qui se rapproche de nos frontières. C'est la démonstration de notre agressivité ? Enfin les États-Unis sont sortis unilatéralement de l'ABM, l'accord sur la défense anti-missile, la pierre angulaire sur laquelle reposait une grande partie du système sécuritaire internationnal. Une autre pruve de notre agressivité ? Tout ce que nous faisons c'est simplement de répondre aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Et nos le faisons d'une façon mesurée, mais de sorte à garantir la sécurité de la Russie. Peut-être que l'on s'atendait à notre désarmement unilatéral ? À une époque, j'avais proposé à nos partenaires américains de le construire ensemble, à trois, le dystème de défense anti-missile: Russie, États-Unis, Europe. Cette proposition a été rejetée. Alors ce que nous avons fait, c'est un système coûteux et dont nous ne connaissons pas encore l'efficacité. Mais naturellement pour garantir l'équilibre stratégique, nous développons notre potentiel offensif stratégique et nous pensons à des systèmes capables de surpasser la défense anti-missile. Et je dois vous dire que nous avons fait de nouveaux progrès dans cette direction.»


Paolo VALENTINO: L'OTAN n'est pas menaçée ?

Vladimir POUTINE: «Seule une personne malade d'esprit ou qui rêve peut imaginer que la Russie puisse un jour attaquer l'OTAN. Soutenir cette idée n'a pas de sens, et par-dessus tout elle est infondée. Il y a sûrement quelqu'un pour alimenter cette peur. Je ne peux que le supposer. Par exemple les américains ne veulent pas vraiment le rapprochement entre la Russie et l'Europe. Je ne l'affirme pas, je le dis seulement comme une hypothèse. Supposons que les EE.UU veuillent maintenir leur propre "leadership" dans la communauté atlantique. Pour s'en assurer, ils ont besoin d'un ennemi, d'une menace extérieure. Et l'Iran, c'est clair, n'est pas une menace en mesure d'intimider suffisament. De qui avoir peur ? La crise ukrainienne a surgi par surprise. La Russie est contrainte de réagir. Peut-être que tout a été fait exprès, je ne sais pas. Mais ce n'est pas nous qui le faisons. Je voudrais vous dire : il ne faut pas avoir peur de la Russie. Le monde est tellement changeant, qu'aujourd"hui les personnes raisonnables ne peuvent imaginer un conflit militaire sur une échelle aussi vaste. Nous avons autre chose à faire, je peux vous l'assurer.»


Paolo VALENTINO: Sur l'Iran, pourtant, vous collaborez avec les EE.UU. La visite de John Kerry à Sotchi à été un signal d'évolution dans ce sens; ou je me trompe ?

Vladimir POUTINE: «Non, vous ne vous trompez pas, vous avez raison. Nous collaborons avec les EE.UU.non seulement sur le programme nuclaire iranien, mais aussi dans d'autres secteurs très importants. Nonobstant le fait que les américains sont sortis de l'ABM, nous continuons à dialoguer sur le contrôle des armements. Nous ne sommes pas seulement partenaires, mais je dirais alliés dans les questions de la non-prolifération des armes de destruction de masse et sans doute dans la lutte contre le terrorisme. Il y a aussi d'autres secteurs de co-opération. Tenez, le thème de l'Expo de Milan est un autre exemple de notre travail en commun.»


Paolo VALENTINO: Vladimir Vladimirovitch, le 9 mai, la Russie a célébré les 70 ans de la victoire dans la Grande Guerre Patriotique, qui libéra le pays et l'Europe du nazisme. Aucun autre pays n'a pays le prix du sang qu'a payé la Russie Mais sur la Place Rouge avec vous il n'y avait pas de "leader" occidental. Cette absence a-t-elle été considérée comme un manque de respect envers le peuple russe ? Et que signifie aujourd'hui ce souvenir pour l'identité du peuple russe ?

Vladimir POUTINE: «La guerre représente une de ces pages tragiques de notre Histoire. Nous, en commémorant une journée si festive et si triste évidemment, nous pensons à la génération qui a garanti la liberté et l'indépendance, en vainquant le nazisme. Nous pensons aussi que personne n'a le droit de nier cette tragédie, en premier lieu pourquoi nous devons nous assurer qu'il ne se répète plus jamais rien de pareil. Et ce ne sont pas des paroles vides, ce n'est pas une crainte infondée. Aujourd'hui par exemple, il y en a qui nient l'Holocauste. Il en est qui cherchent à faire des héros de nazis ou de collaborationnistes. Le terrorisme d'aujourd'hui, dans beaucoup de ses manifestations, est comme le nazisme, il n'a en substance aucune différence. Les collègues dont vous avez parlé simplement n'ont pas vu plus loin que la difficile conjoncture des relations internationales, des choses beaucoup plus sérieuses à relier non seulement avec le passé, mais aussi avec la nécessité de lutter pour notre futur commun. C'était leur choix. Mais la fête était avant tout nôtre fête. vous comprenez ? Nous avons enregistré ce jour-là non seulement qui a lutté contre le fascisme dans l'Union Soviétique, mais aussi tous nous Allies, et participants à la Résistance en Allemagne même, en France et en Italie. Nous saluons le mérite de tous ceux qui ne se sont pas économisé dans la lutte contre le nazisme. Certes nous savons que c'est l'Union Soviétique qui a apporté la contribution décisive à cette victoire, en sacrifiant le plus d'êtres humains. Pour nous, ce n'est pas simplement une victoire militaire mais aussi morale et puis presque chacune de nos familles à perdu un être cher. Il est impossible de l'oublier.»


Luciano FONTANA: Vous êtes un dirigeant très populaire en Russie, mais on vous accuse souvent à l'étranger, et aussi dans votre Pays, d'être autoritaire. Pourquoi est-il si difficile en Russie d'être dans l'opposition ?

Vladimir POUTINE: «Qu'est-ce ça veut dire difficile ? Si l'opposition prouve qu'elle peut résoudre les problèmes d'un district, d'une région ou même du Pays, je pense que les gens le verront toujours. Le nombre de nos partis politiques a été multiplié, dans les années précédentes nous avons libéralisé les règles pour leur constitution et leur promotion sur la scène politique régionale et nationale. Ils doivent juste être validés et savoir travailler avec l'électorat, avec les citoyens.»



Paolo VALENTINO: Mais pourquoi la principale chaîne de télévision russe ne fait-elle pratiquement jamais intervenir les représentants de l'opposition ?

Vladimir POUTINE: «S'ils savaient se montrer intéressants, je pense qu'ils seraient invités plus souvent. À propos de la lutte politique, comme nous le savons, les adversaires politiques recourent à beaucoup de moyens différents. Il suffit de se souvenir de l'histoire récente de l'Italie.»


Paolo VALENTINO: Monsieur le Président, la Grèce a aujourd'hui des rapports très difficiles avec l'Europe. Si la Grèce venait à sortir de la zone euro, la Russie serai-elle prète à lui donner un appui politique ainsi que lui procurer une assistance économique ?

Vladimir POUTINE: «Nous développons les relations avec la Grèce indépendamment du fait qu'elle soit membre de l'Union européenne et de l'OTAN ou qu'elle se trouve dans la zone euro. Nous avons avec ce pays des relations historiques, très proches et de bon parténariat, mais c'est un choix souverain du peuple grec que de rester telle union ou dans telle zone. Nous ne savons pas ce qu'il arrivera dans le futur, voilà pourquoi donner dans la divination maintenant serait erronné et même contre-productif que ce soit pour l'économie européenne ou pour celle de la Grèce.»


Paolo VALENTINO: Dans cette pièce, quatre empereurs russe nous regardent. Laquelle de ces figures historiques, lequel de ces personnages vous imspire-t-il le plus ?

Vladimir POUTINE sourit. Il sait que la demande est classique. Plusieurs fois il a dit que son Tzar préféré était Alexandre III, l'Empereur selon lequel «la Russie n'a que deux alliés : son armée et sa flotte.» Mais cette fois-ci, il reste sur ses gardes : «Quand on me pose cette question je préfère la dribbler parce qu'on peut en faire différentes interprétations. Par conséquent je préfèrerais répondre que j'essaye de ne pas avoir d'idole. Je me concentre dans mon travail sur l'intérêt du peuple russe, en me basant sur tout ce qui a été fait dans le passé, mais ayant présentes à l'esprit les conditions de vie actuelles. Que ce soit dans notre Histoire, ou dans celle de l'Europe ou celle du monde, il y a eu beaucoup de dirigeants dignes et exemplaires. Mais toutes ces personnes vécurent et travaillèrent dans certaines conditions. L'important, c'est d'être honnête avec soi-même et avec les personnes qui vous ont confié ce travail.»


Luciano FONTANA: Une dernière question : quel est votre plus grand regret dans la vie ? Qu'est-ce que vous considérez comme une erreur que vous ne devriez jamais refaire ?

Vladimir POUTINE: «Je vais être absolument franc avec vous. Je ne peux pas me souvenir de quoi que ce soit. Évidemment, le Seigneur a construit ma vie de telle sorte que je n'aie rien à regretter.»


À Moscou, le 6 juin 2015, entre 2 heures et 07h30 du matin.
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